par Julianna » Jeu Mai 13, 2010 4:32 pm
Perfectionnisme et boulimie
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Le perfectionnisme est une donnée quasi omniprésente dans le cadre de la boulimie (prise alimentaire compulsive avec stratégies d’élimination). Elle est à mettre en inter-relation avec la confiance en soi, évoquée par ailleurs. Ce perfectionnisme est assez limité, dans le sens où il naît le plus souvent de manifestations anxieuses : peur du jugement, de la critique, de l’évaluation. Bref ce que l’on nomme anxiété de performance, plutôt la peur d’échouer que la volonté de réussir. Cette forme de perfectionnisme démontre une basse estime de soi puisqu’elle sous-entend que l’on est critiquable, défaillant.
Le milieu familial, en portant de l’importance à la réussite et à l’aspect corporel peut participer à ce phénomène. La perfection est souvent une préoccupation majeure : l’image doit être bonne, les comportements non-normatifs ou de perte de contrôle doivent être absents ou cachés. Il ne s’agit pas là encore d’être performant mais plutôt de ne pas montrer ce qui peut paraître défaillant ou jugé anormal.
Un modèle fréquent correspond à un couple parental ou la maman est effacée du point de vue de la communication ou de l’intellect, plus ou moins limitée à un statut nourricier et ménager. Le papa est présenté comme plus brillant, cultivé. Se noue une relation privilégiée père-fille d’où la maman est plus ou moins exclue. Cela peut même mener à une forme de concurrence mère-fille, où la jeune fille évolue sous la pression des exigences paternelles, une obligation d’être à la hauteur de ces attentes. Cette compétition mère-fille est d’autant plus développée si la maman elle-même rencontre des problèmes de poids ou des problèmes alimentaires.
Cette image de perfection est frappante en consultation. Bon nombre de thérapeutes surnomment d’ailleurs les personnes souffrant de boulimie : les « saintes ». Même pendant un entretien thérapeutique, elles sont dans le contrôle permanent de leur communication, de leur apparence, de l’image familiale, de leur vie affective et sexuelle. La seule exception ? Les crises de boulimie, perte de contrôle naturelle et inévitable vu le contexte, mais qui « fait tâche » dans ce tableau idyllique mais artificiel.
Ce perfectionnisme, ce niveau d’exigence entraînent une tension intérieure, un malaise et un mal-être qui seront calmés, ponctuellement par la prise alimentaire. Mais pour garder une image irréprochable, les crises vont être secrètes et les stratégies d’élimination vont venir préserver le contrôle de l’apparence physique. Le perfectionnisme est donc au centre de la problématique personnelle et familiale du sujet et donc au centre du trouble alimentaire et de son développement.
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Contrôle et perte de contrôle
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Dans tout domaine psychologique et à fortiori dans celui des troubles, alimentaires ou autres, il y a une règle élémentaire : « plus il aura contrôle, plus il aura perte de contrôle ». Le contrôle est illusoire (on appelle d’ailleurs cela « illusion de contrôle »). Installée, dans un système perfectionniste et exigeant, la personne souffrant de boulimie met en place des stratégies de contrôle de plus en plus sophistiquées. Il s’agit de contrôler l’incontrôlable, démarche infernale, condamnée à l’avance qui ne peut mener qu’à une surenchère. Le contrôle s’installe à différents niveaux transformant un trouble (la boulimie) en un véritable mode de vie. Quelques exemples :
- Pour un grand nombre, les crises sont planifiées, ritualisées : secret, horaires, contraintes, planification d’achat.
- Contrôle du poids, par la mise en place de stratégies d’élimination : vomissement, laxatif (20%)
- Contrôle des quantités, toujours importantes, pour garantir le vomissement.
- Tentatives de surveillance et de contrôle externes par l’entourage.
- Contrôle du poids par des périodes anorexiques (dans 50% des cas), de jeûne ou de sport à outrance.
Les stratégies de contrôle, réponses mises en place pour contrôler le trouble n’ont d’effet que de l’accentuer et de le chroniciser en créant un cercle vicieux sous la forme de l’alternance contrôle/perte de contrôle.
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Restriction cognitive
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Notre société est rationaliste, scientifique et trouve assez fréquemment sa satisfaction dans le contrôle de la réalité qui l’entoure. Il en est de même dans le domaine alimentaire. Face à des problèmes de poids (ou un risque ou une illusion de problème de poids), la stratégie n°1 consiste en la mise en place d’un contrôle de l’alimentation, à base de règles, de stéréotypes… Ainsi, les personnes que je côtoie dans des consultations portant sur les troubles alimentaires sont de véritables encyclopédies de diététique ambulantes, affirmant à tout vent et avec véhémence leurs règles alimentaires (discutables ou non) et présentant des croyances inébranlables dans ce domaine. Il est intéressant de noter que paradoxalement, plus il y a de certitudes et de règles, plus il y a trouble alimentaire. Cet aspect nourrit un principe assez général dans le domaine des troubles psychologiques (et donc également alimentaires) : plus il y a de contrôle, plus il y aura perte de contrôle. Cet aspect trouve une explication assez simple et nette : le naturel ne se contrôle pas. Et l’alimentation fait partie du naturel.
Il y a d'ailleurs un conte ancien qui relate comment la fourmi demanda au mille-pattes : « Pouvez-vous me dire comment vous arrivez si bien à marcher avec mille pattes ? Pouvez-vous m’expliquer comment vous pouvez les contrôler toutes en même temps ? » Le mille-pattes se mit à y réfléchir et ne put alors plus marcher.
Comment obtient-on un résultat opposé au résultat désiré? Les problèmes de poids (pour l’hyperphagie), ou la peur de prendre du poids (boulimie et anorexie), conduisent à la mise en place de croyances sur l’alimentation, croyances qui génèreront des comportement inadaptés. Sous contrôle, les choix alimentaires se fondent sur la régularité et la quantité au détriment de la nature de l’alimentation qui elle se fonde sur l’adaptabilité aux besoins du moment donc à la variabilité, au goût, à l’appétit et la notion de rassasiement ou de satiété.
Sous contrôle, l’alimentation ne se construit plus sur des informations internes mais sur des critères externes.
Alors, quel est le problème si on suit un régime et que l’on maigrit ?
Le problème essentiel est que, selon l’expression consacrée : « chassez le naturel, il revient au galop ». Le contrôle ou le régime s’inscrivent dans une première étape, phase volontariste ou le sujet fait abstraction de ses signaux internes du type goût, faim et satiété pour se conformer aux règles prescrites : il faut manger équilibré, il faut manger trois fois par jour, il faut manger ceci à midi et ceci le soir, … Pour supporter cet effort surhumain, le sujet met en place des rituels, évitements, interdictions absolues… Le système se rigidifie au détriment des rythmes naturels, des goûts, … L’extrémité de cet hyper-contrôle se révèle à travers l’anorexie, sorte de régime perpétuel.
A part les personnes se tournant vers l’anorexie, l’être humain n’apprécie guère les « il faut » ou « je dois », opérateurs modaux détestables. Un tabou est fait pour être transgressé.
Le premier tabou transgressé est celui de la quantité : la personne craque en mangeant en grande quantité des aliments autorisés. Mais la satisfaction n’est guère au rendez-vous (d’où les importantes quantités absorbées).
Le deuxième tabou transgressé est celui du goût (et de la charge calorique qui en général l’accompagne) : le sujet craque pour un aliment interdit, par goût. Et comme elle compte bien continuer le régime après cet accident, elle en consomme une grosse quantité. Chaque « craquage » comme disent les adolescents, est considéré et vécu comme le dernier c’est-à-dire avec une intensité comparable à l’enterrement d’une vie de garçon.
Ces aspects sont renforcés par le fait que des personnes ayant eu à subir les affres du contrôle ou du régime pendant un certain temps, n’ont plus ou peu de sensation de satiété. Ayant anesthésié ses sensations, le sujet ne sent donc plus (ou peu) si il a faim ou non, ce qui pose rapidement problème dans le cadre des troubles alimentaires. Cet aspect débouchera sur l’hyperphagie et la prise de poids ou la mise en place de stratégies d’élimination dans la boulimie ou l’anorexie-boulimie.
D’un point de vue psychologique, la présence des règles entraîne deux processus qui vont venir amplifier les phénomènes : frustration et culpabilité. Frustration face aux interdits, aux arbitraires du régime (draconien ou non) et puis culpabilité après la perte de contrôle. Il est d’ailleurs à noter que dans les troubles alimentaires, les émotions que sont frustration et culpabilité sont anesthésiées et calmées d’une manière précise et particulière : par la prise importante de nourriture. Nous avons là un beau cercle vicieux. En thérapie stratégique, on nomme ce type de phénomène tentatives de solutions qui rendent le problème encore plus complexe. Ou bien à la manière d’Erickson, on peut mettre en valeur cette faculté déroutante qu’a l’être humain, face à une difficulté, de mettre en place une stratégie et, si d’aventure elle n’apporte pas satisfaction, à reproduire inexorablement : faire «encore plus de la même chose». Si il n’y a pas de règle, il n’y a pas formation de ce cercle vicieux. Il n’est pas rare dans l’approche thérapeutique des troubles alimentaires de trouver la remise en cause de la restriction cognitive au centre de la résolution de la problématique, et que la moitié du travail soit constituée par cette déprogrammation du sujet qui peut dans certains cas suffire à résoudre le problème : "Vous voulez maigrir?... Et bien mangez ce que vous voulez, dans les quantités que vous voulez et au moment où vous le voulez!" Le problème est juste de se réinitialiser, de reformater le disque dur pour le débarrasser de ces programmes dysfonctionnels et inadaptés au bien-être.